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V. La distance qu'impose le paysage humain
- Toute génération possède son ingéniosité et n’hésitera pas à faire appel à la rénovation la plus sophistiquée si, par ce biais, elle augmente son pouvoir. Cependant, ceci la conduit à d’innombrables difficultés parce que la transformation qu’elle a mise en marche entraîne la société vers l’avenir. En effet, dans la dynamique du présent, celle-ci est déjà en contradiction avec le paysage social intérieur que l’on voulait maintenir. C’est pour cela que je dis : « chaque génération possède sa part d’ingéniosité », mais elle possède également son propre piège.
- À quel paysage humain se heurte la convoitise injustifiée ? D’abord, elle se heurte à un paysage humain perçu, qui est différent du paysage dont on se rappelle. Mais aussi à un paysage humain qui ne correspond pas au ton affectif, au climat émotif général du souvenir qu’elle a des personnes, des édifices, des rues, des métiers, des institutions. Et cet “éloignement” ou “étrangeté” montre finalement que tout paysage perçu est une réalité globale, distincte de celle dont on se souvient, même quand il s’agit des choses quotidiennes ou familières. C’est ainsi que les convoitises qui ont si longtemps caressé l’envie de posséder un objet (des choses, des personnes, des situations) sont finalement déçues dans leur réalisation. Et voilà la distance que la dynamique du paysage humain impose à tout souvenir entretenu par un individu, par plusieurs individus, ou encore par toute une génération. Coexistant dans un même espace social, cette génération est nimbée d’un tréfonds émotif semblable ! Ô combien on s’éloigne d’un accord concernant un objet, lorsqu’il est considéré par différentes générations ou par des représentants de différentes époques qui coexistent dans le même espace ! Et s’il semble que nous parlions d’ennemis, je dois souligner que ces abîmes s’ouvrent déjà entre ceux qui semblent avoir les mêmes intérêts.
- On ne touche jamais un même objet de la même façon et on ne ressent jamais deux fois la même intention. Et ce que je crois percevoir comme intention chez les autres n’est qu’une distance que j’interprète toujours de façon différente. Ainsi, le paysage humain, dont la note distinctive est l’intention, met en relief cette mise à distance que de nombreuses personnes remarquèrent à un moment en pensant qu’elle était peut-être le produit de conditions objectives d’une société non solidaire qui aurait envoyé en exil la conscience dépossédée. S’étant trompées dans leur appréciation concernant l’essence de l’intention humaine, ces personnes se sont aperçues que la société qu’elles avaient bâtie avec effort ouvrait un abîme entre les générations et s’était éloignée d’elle-même à mesure qu’augmentait l’accélération de leur paysage humain. D’autres sociétés, qui se sont déployées selon des schémas différents, ont reçu un choc identique ; ce qui montre bien que les problèmes fondamentaux de l’être humain doivent être résolus avec pour objectif l’intention qui va au-delà de l’objet et dont l’objet social est seulement sa demeure. De la même manière, la nature entière (qui inclut le corps humain) doit être comprise comme étant le foyer de l’intention transformatrice.
- La perception du paysage humain est une comparaison avec moi-même ; elle est aussi un engagement émotif, quelque chose qui me nie ou me lance en avant. Je suis aspiré depuis mon “présent”– embarquant mes souvenirs – par l’intention du futur. Ce futur qui conditionne le présent, cette image, ce sentiment confus ou voulu, cette activité choisie ou imposée, marquent également mon passé, parce qu’il change ce que je considère comme étant mon passé.