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VIII. Le cavalier et son ombre

Quand le soleil empourpra le chemin, la silhouette s’allongea entre des pierres et d’âpres buissons. Le cavalier ralentit le pas jusqu’à s’arrêter tout près d’un jeune feu. Un vieil homme, qui de ses mains caressait les flammes, salua le cavalier. Celui-ci descendit de sa monture et tous deux parlèrent. Puis le cavalier continua son chemin.

Quand l’ombre tomba sous les sabots du cheval, le cavalier s’arrêta un instant et échangea quelques mots avec un homme qui l’avait retenu au bord du chemin.

Quand l’ombre s’allongea dans le dos du cavalier, celui-ci ne ralentit plus l’allure. Et un jeune homme qui voulut l’arrêter parvint à crier : « Tu vas en direction opposée ! ».

Mais la nuit fit descendre le cavalier de sa monture et celui-ci vit seulement l’ombre dans son âme. Alors en soupirant pour lui-même et les étoiles, il dit :

« En un même jour, un vieil homme m’a parlé de la solitude, de la maladie et de la mort ; un homme m’a dit comment étaient les choses et les réalités de la vie. Enfin, un jeune homme ne m’a même pas parlé mais en criant, a voulu dévier mon chemin en direction inconnue.

Le vieil homme sentait la peur de perdre ses choses et sa vie ; l’homme la peur de ne pas parvenir à prendre ce qu’il croyait être ses choses et sa vie ; et le jeune la peur de ne pouvoir échapper à ses choses et à sa vie.

Étranges rencontres que celles-ci. Le vieil homme souffre de la brièveté de son avenir et se réfugie dans son long passé. L’homme souffre de sa situation actuelle et cherche refuge dans ce qui s’est passé ou ce qui doit arriver, selon ce qui lui convient, soit devant, soit derrière. Et le jeune homme souffre d’un court passé qui mord ses talons, poussant sa fuite vers le long futur. Pourtant, je reconnais mon propre visage dans le visage des trois, et il me semble remarquer que tout être humain, quel que soit son âge, peut transiter par ces temps et y voir des fantômes qui n’existent pas. Aujourd’hui, existe-t-elle, cette offense de ma jeunesse ? Et ma vieillesse, existe-t-elle aujourd’hui ? Et ma mort, se niche-t-elle aujourd’hui dans cette obscurité ?

Toute souffrance se glisse en nous par le souvenir, par l’imagination ou par ce qui est perçu. Mais c’est grâce à ces trois voies que la pensée, le sentiment et l’activité humaine existent. Ces voies sont donc nécessaires mais elles sont en même temps des voies de destruction lorsqu’elles sont contaminées par la souffrance.

Mais la souffrance ne serait-elle pas cet avertissement que nous donne la vie lorsque son courant est inversé ?

La vie peut être inversée par quelque chose (pour moi inconnu) que l’on fait avec elle. Ainsi, ce vieil homme, cet homme et ce jeune ont fait quelque chose avec leur vie pour que celle-ci s’inverse.

Alors, le cavalier qui méditait dans l’obscurité de la nuit s’endormit. En dormant, il rêva et dans son rêve, le paysage s’illumina. Il se trouvait là, au centre d’un espace triangulaire, emmuraillé de miroirs. Les miroirs reflétaient son image en la multipliant. Suivant la direction qu’il choisissait, il se voyait tantôt comme un vieil homme, tantôt comme un homme, tantôt encore comme un jeune homme… Mais au centre de lui-même, il se sentait comme un enfant.

Alors, tout commença à s’obscurcir et, quand il ne put reconnaître autre chose qu’une lourde obscurité, il s’éveilla. Il ouvrit les yeux et vit la lumière du soleil.

Puis, il chevaucha sa monture et, voyant que l’ombre s’allongeait, il se dit :

« C’est la contradiction qui inverse la vie et génère la souffrance… Le soleil se met en opposition pour que le jour soit nuit, mais le jour sera ce que j’en ferai ».